Paroles d’experts – Quel est l’impact du télétravail à l’étranger sur la mobilité internationale ?

Comment l’expatriation a-t-elle évolué depuis la crise de la Covid-19 ? Le télétravail a-t-il modifié les modes et les règles de travail au point de remplacer l’expatriation ou a-t-il plutôt favorisé l’apparition de nouvelles formes d’expatriation ?
Ce sont les questions auxquelles Debbie Wardle, Director of Global Employer Services, Rumi Das, Partner and Head of Global Workforce Consulting, Stig Sperre, Partner and Head of Global Employer Services, et Nadia Hamya, Partner International Mobility Tax chez Deloitte répondent pour analyser l’émergence de nouveaux types de travail transfrontalier et les risques fiscaux et juridiques que les entreprises doivent anticiper lorsqu’elles envisagent cette option.

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Le télétravail permet de nouveaux modes de mobilité internationale. Quels sont les enjeux de la mobilité internationale ?

Alors que 25 % des salariés français recouraient régulièrement au télétravail en 2017, 40 % le pratiquaient pendant les phases de confinement de la crise sanitaire en 2020. Une solution temporaire qui a connu un essor particulier pendant la pandémie, allant jusqu’à redéfinir les modes de travail des organisations. Durant cette période, le télétravail a suppléé les déplacements physiques et a interrompu les projets de mobilité internationale en cours. Selon le Work Trend Index de Microsoft, le nombre de réunions Teams a bondi de 153 % à l’échelle mondiale entre 2020 et 2022.

Malgré le recours accru du télétravail, ce dernier ne remplace pas l’expatriation, comme en témoignent les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) : le nombre d’expatriés est passé de 249 millions en 2015 à 280 millions après le début de la pandémie.

« Pour certaines organisations, les missions traditionnelles de longue et courte durée n’ont peut-être pas retrouvé leurs niveaux d’avant la pandémie ; cependant, nous observons un paysage riche et évolutif d’engagement international qui complète la mobilité traditionnelle »

observe Debbie Wardle. Le télétravail fait en revanche évoluer les types d’expatriations qui se sont grandement diversifiées.

Avant la pandémie, l’expatriation au sens classique du terme désignait un salarié envoyé par son employeur pour travailler à l’étranger pendant une période donnée et, selon les circonstances, l’individu pouvait ne plus être affilié à la Sécurité sociale française. L’expatriation fait désormais référence à une réalité plus complexe, celle de tous les types de mobilités internationales. Selon Stig Sperre :

« Le terme ‘expatriation’ semble aujourd’hui un peu dépassé, car il fait référence à un modèle traditionnel de mobilité, par exemple une mission d’un à trois ans, souvent réalisée avec la famille qui accompagne. Depuis la pandémie, nous avons observé, particulièrement en France, un déclin des missions à long terme à l’étranger pour des postes spécifiques. En revanche, la mobilité internationale a progressé globalement, stimulée par de nouvelles possibilités de télétravail et de mobilité des talents entre différents pays. Cette transformation signifie que le modèle classique d’expatriation ne s’accélère pas, mais encourage plutôt l’émergence d’une culture du travail transfrontalier, virtuel ou physique, au sein des entreprises, quelque soit le décalage horaire ! Nous constatons que l’éventail des options de mobilité internationale s’est considérablement diversifié depuis la pandémie. »

Cependant, cette évolution est fortement liée au secteur d’activité, ainsi qu’à la nature du rôle ou des activités professionnelles d’un individu : dans certains cas, la présence physique des employés sur le lieu de travail reste essentielle, car certains travaux ne peuvent pas être effectués à distance.

L’évolution des politiques de mobilité des entreprises : Puis-je travailler à distance à l’étranger ? Est-il possible de trouver une offre d’emploi pour faire du télétravail ponctuel à l’étranger ?

En raison de la transformation des méthodes de travail et du désir accru de flexibilité exprimé par les salariés, plusieurs tendances clés et questions récurrentes émergent, telles que :

  • Comment pouvons-nous accéder à un vivier de talents plus large en pourvoyant les postes sur la base des compétences, sans barrières géographiques ?
  • Comment pouvons-nous permettre aux individus de travailler à distance de manière durable ou permanente ?

De nombreuses entreprises repensent leurs politiques de mobilité internationale pour s’adapter aux nouveaux scénarios d’expatriation.

« Depuis la pandémie, nous avons observé un changement d’attitude envers les demandes personnelles des employés souhaitant travailler dans un autre pays – une flexibilité que de nombreuses organisations n’auraient pas envisagée auparavant. Aujourd’hui, les entreprises réexaminent attentivement la manière dont elles utilisent leurs programmes de mobilité internationale afin de maximiser leur retour sur investissement, tant pour les missions traditionnelles de courte et longue durée que pour certaines formes alternatives de mobilité, offrant ainsi un plus grand choix pour l’entreprise et une flexibilité accrue pour les employés »

précise Rumi Das.

Le télétravail peut permettre de réduire les coûts autrefois associés à la relocalisation d’un employé dans le cadre d’une expatriation traditionnelle. Rendu possible par de nouvelles configurations de travail, cette option peut répondre à la fois aux objectifs de l’entreprise et à ceux de l’employé.

👉 Exemple :
Tout d’abord, un candidat résidant en Espagne postule à une offre d’emploi située au Royaume-Uni. Le candidat souhaite exercer son activité professionnelle à distance, depuis l’Espagne. Avant la pandémie, la probabilité que l’entreprise refuse cette option aurait été élevée. Depuis la crise sanitaire et l’évolution de la mobilité des talents, les entreprises s’ouvrent à ce scénario et explorent de plus en plus les modèles hybrides. Une option serait que le candidat reste en Espagne, sans changement de domicile, et travaille occasionnellement dans les locaux de l’entreprise au Royaume-Uni, sans s’y installer, afin d’être présent lors des moments clés, le cas échéant. Cependant, les principaux risques fiscaux et juridiques ainsi que les exigences de conformité au Royaume-Uni et en Espagne devront être évalués et chiffrés de manière appropriée.

Le télétravail permet aux organisations d’élargir potentiellement leur approche en matière d’acquisition de talents. La flexibilité du travail à distance rend possible l’attraction de compétences recherchées sur un marché plus vaste.

Pour certains employés, il y a une attente croissante qu’un certain degré de travail à distance soit proposé, au moins pour du travail à distance international à court terme, comme 20 à 30 jours ouvrables dans un autre pays. Cet élément peut faire partie de la Proposition de Valeur pour l’Employé (PVE) offerte par l’entreprise. Cependant, certaines organisations sont également en train d’évaluer dans quelle mesure elles permettront le travail à distance international à long terme

, explique Debbie Wardle.

👉 Exemple :
Dans le secteur compétitif de la technologie, il peut parfois être difficile de recruter des programmeurs. Le télétravail peut faciliter la recherche de talents dans un autre pays ou une autre région du monde.

« Nous vivons une période passionnante pour la mobilité internationale, avec une transformation profonde dans la manière dont les entreprises abordent le recrutement et la mobilité des talents. Les organisations disposent désormais de multiples options pour collaborer avec des talents internationaux :

  • Télétravail international à long terme : qui permet aux salariés de travailler depuis un autre pays de manière prolongée ou permanente ;
  • Situations de « commuting » (« commuting arrangment ») où le salarié fait des aller-retours entre son pays de résidence et le pays où il travaille ;
  • Missions virtuelles ;
  • Recrutement via un ‘Employeur de référence (EOR)’ : une option que certaines entreprises envisagent lorsqu’elles n’ont pas d’entité locale sur le lieu de travail mais souhaitent permettre le travail depuis cet endroit ;
  • Alternatives telles que les freelances et les travailleurs sur projet.

… permettant ainsi de répondre à des besoins spécifiques ou ponctuels », analyse Stig Sperre.

Les nouvelles configurations d’expatriation: Quels pays pratiquent le plus le télétravail ? Quels contrats de travail pour un salarié français qui télétravaille depuis l’étranger? 

Désormais, de nouveaux modes et contrats de travail à l’étranger complètent l’expatriation traditionnelle :

  • Télétravail transfrontalier total ou partiel : le télétravailleur effectue son activité depuis le pays A (où réside l’individu) pour une entreprise située dans le pays B. Si le télétravail est partiel, comme dans un arrangement de travail hybride, le télétravailleur devra prendre son poste en présentiel dans le pays B pendant une partie du temps. Le contrat de travail devra être rédigé avec soin pour gérer cette situation, et les exigences de conformité fiscale et de sécurité sociale devront être soigneusement examinées pour les deux pays. Le télétravail s’effectuera à des heures de connexion précises et dans le respect des conditions de la Charte sur le télétravail de l’entreprise ou ses accords collectifs. Il pourra utiliser un système d’auto-déclaration si l’entreprise le demande.
  • Le travail à distance international à long terme : peut faciliter la conservation de l’emploi pour le conjoint accompagnateur d’un salarié expatrié dans le pays d’accueil.

Le point de départ sera donc toujours de vérifier si le conjoint peut facilement exercer son activité dans le pays d’accueil. Cette activité peut-elle être réalisée à distance ? Par le passé, il était difficile pour un conjoint de travailler dans le pays de destination, sauf, par exemple, si l’entreprise pour laquelle il travaillait y avait un bureau. Ainsi, d’un point de vue pratique, cela pourrait permettre au conjoint du salarié expatrié de travailler dans le pays d’accueil via son ordinateur portable et un VPN. Mais encore une fois, cela dépendra généralement de la volonté de l’employeur du conjoint de l’autoriser, après avoir pris en compte les risques et les coûts liés aux lois et règlements applicables, c’est-à-dire à la conformité fiscale et juridique

, explique Rumi Das.

  • Du nomadisme digital : sans lieu de travail et de vie fixe, le nomade digital réalise son télétravail à l’étranger entièrement à distance via ses outils informatiques, numériques et digitaux. Il peut fréquemment changer de pays de résidence pendant l’année fiscale. En 2023, le nombre de nomades digitaux atteignait déjà 35 millions selon Enterprise Apps Today[5]. « Plus de 40 pays ont mis en place des visas spécifiques pour nomades numériques, et nous nous attendons à ce que ce nombre augmente à mesure que davantage de pays mettent en place ces visas spécifiques pour attirer des professionnels sur leur territoire », déclare Debbie Wardle.

Voici quelques pays qui ont leur propre programme de nomadisme numérique et proposent des autorisations de séjour dans ce cadre (cette liste n’est pas exhaustive) :

  • la Croatie ;
  • le Portugal ;
  • l’Espagne ;
  • l’Estonie ;
  • l’Allemagne ;
  • la Géorgie ;
  • la République tchèque ;
  • l’Argentine.

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Les risques du télétravail depuis l’étranger : législations, considérations juridiques et implications en termes de fiscalité dans l’UE et hors UE

Pour toutes les formes de travail transfrontalier, y compris ces nouvelles modalités favorisant la mobilité des talents jusqu’au bout du monde, il est toujours nécessaire d’évaluer les risques du point de vue juridique ainsi que les implications fiscales. Cela comprend :

  • Le risque d’établissement stable en matière d’impôt sur les sociétés
  • Les obligations en matière de fiscalité du travail et de protection sociale
  • La directive sur le détachement des travailleurs
  • Le droit du travail
  • Le devoir de vigilance
  • Le droit à l’immigration et au travail

Nos clients sont de plus en plus créatifs et nous sollicitent pour sécuriser juridiquement des situations très spécifiques

précise Nadia Hamya.

👉Exemple :
Un salarié en télétravail complet vit en Belgique et travaille pour un employeur américain. L’entreprise américaine devra déterminer quel est le droit du travail et les lois applicables à son contrat de travail : Droit du travail belge ou américain ou une combinaison des deux ?

La question des régimes de sécurité sociale est également importante. Dans le même scénario, le télétravailleur sera probablement assujetti à la sécurité sociale belge. L’employeur américain devra donc tenir compte des exigences belges en matière de sécurité sociale, par exemple l’enregistrement en Belgique. Il s’agit donc d’un équilibre entre la mobilité des talents et la gestion fiscale, juridique et des coûts.

Est-ce qu’on peut télétravailler ailleurs qu’à son domicile ?

Imaginons qu’un salarié français souhaite prolonger un séjour personnel en Grèce en effectuant du télétravail à l’étranger. L’individu est généralement couvert par les polices d’assurance voyage et médicale de l’entreprise lorsqu’il part en voyage d’affaires. Or, il ne s’agit pas d’un voyage d’affaires

Il se peut que lorsqu’un salarié choisisse de travailler de sa propre initiative depuis l’étranger, les polices d’assurance de l’entreprise ne s’appliquent pas. De nombreuses entreprises précisent alors que, dans ce cas, le salarié doit souscrire sa propre protection privée de santé et de voyage

prévient Rumi Das.

En résumé, le domaine de la mobilité internationale évolue et offre de nouvelles options, règles et lois applicables aux employeurs. Cependant, si le monde du travail a évolué, les textes officiels des réglementations fiscales et juridiques sont encore loin derrière et varient d’un pays à l’autre. Il n’existe pas de solution universelle et il est nécessaire de tenir compte des règles nationales en matière de fiscalité et de sécurité sociale, ainsi que des traités internationaux, du droit du travail et des exigences en matière d’immigration. Une période intéressante pour la mobilité internationale des talents !

Sources :

https://fr.statista.com/themes/6820/le-teletravail-en-france/#topicOverview
https://www.ictjournal.ch/etudes/2023-01-19/productivite-et-travail-hybride-eviter-la-defiance-et-la-paranoia
https://absolutely-french.eu/limpact-du-teletravail-sur-lexpatriation/
https://open.lefebvre-dalloz.fr/droit-social/statuts-particuliers/expatriation_dz-oasis-001676
https://andysto.com/how-many-digital-nomads-are-there/#:~:text=According%20to%20Enterprise%20Apps%20Today,female%2C%20and%201%25%20other.
https://ambroisedebret.com/pays-avec-visa-digital-nomad/